Cinderreich Akardy Frantz

"Tout va bien mon ange?"

Posant un instant mon chiffon sur le parquet du navire, je tournai la tête, offrant un sourire à cette voix si charmante. Elle était là, belle et rassurante, son corps superbe s'opposant au soleil afin de me faire un peu d'ombre. Sa main que même la labeur n'avait su abîmé se posa sur ma joue, suivie de près par ses lèvres douces et humides. Des lèvres de mère, des lèvres d'amour.
Juste un baiser, puis je me remis à la tâche, terminant d'astiquer ce foutu pont. Dans ma plus jeune enfance, j'avais rêvé de grandeur, et même si le monde s'était acharné à m'ôter mes illusions, je ne pouvais me satisfaire de ma situation. Certes, j'avais troqué l'esclavagisme pour la piraterie, et croyez bien qu'être soumis à un malfrat était bien plus plaisant que servir de paillasson ambulant aux hommes-poissons ; cependant, je valais mieux que ça. J'avais plus d'ambition dans la vie qu'être la marionnette d'un forban, même si, sans ce maître de pacotille, je n'aurai jamais connu Ayrtonn Cinderreich.
Qui était-ce? Mon ange gardien, ou plus simplement ma mère de substitution, car inutile de jaser, à 13ans, j'en avais plus que besoin. Esclave tout comme moi, elle comprit mon malaise, l'accepta, et me fit passer outre. Elle m'enseigna les bases de ce monde, m'offrant les outils nécessaire à ma survie sur un tel navire. En plus de son amour, elle me laissa sa passion : l'Océan. Avant-goût des rêves de mon enfance, la navigation, où l'art de dominer l'océan me laissait rêveur, me donnant l'ivresse d'un potentat que je n'atteindrai sans doute jamais.


"Je t'aime..."

Enfin, elle avait daigné me le dire, et ne lui laissant pas le temps de fermer ses lèvres, j'y posai les miennes, remerciant avec l'ardeur la femme de ma vie. Nous étions aux bords de la plage, sur le lieux de notre première rencontre, sauf qu'au lieu d'être un garçon de 17 ans à moitié mort, j'étais un membre de la marine, comme Ayrtonn l'aurait voulu. Cela faisait un bout de temps déjà qu'elle m'avait sauvé la vie, et que charmante héroïne elle était devenu amante sublime. L'enlaçant de tout mon être, je posai ma tête sur son épaule, et observai l'océan. Le bercement des vagues, le reflet du ciel sur la mer, tout cela me rappelait une autre époque, un temps où ma "mère" était encore en vie. Était-ce le fait de revenir sur le lieux du naufrage qui me rendait si mélancolique? Pourtant, en ce moment même, aux bras d'une déesse, je vis cette balle fendre l'air, et se loger dans sa chair. Cette balle qui m'était destiné, cette balle qui lui ôta la vie...
Ma prise s'était resserrée, tant est que ma douce me rappela à l'ordre, attrapa mon visage dans ses mains avant de me lécher la joue. Le "baiser du lion", c'était sa spécialité, ce genre de choses qu'elle seule pouvait faire pour m'arracher à mes pensées, et me ramener au présent. Après tout nous allions nous marier, aussi n'avais-je que peu de temps à perdre en rêverie. Désormais, j'étais un homme, et mon passé peu glorieux m'avait donné le pouvoir de défendre ma dignité.

"Monsieur...un pavillon noir est en vue."
Non, ce n'était pas mon navire, et cette remarque s'adressait à un autre. Cependant elle me sorti de mes rêveries, et tant mieux. Je ne rechignai pas à travailler mais disons que j'avais du mal à ne pas penser à ma femme, alors qu'elle était en phase terminale de grossesse. Nous avions déjà deux enfants, et le troisième n'allait pas tarder. Une fille, un garçon? Une fille ça serait sans doute mieux, ma petite Ayrtonn étant un chef d'oeuvre, elle ferait un excellent exemple. Toutefois remettons à plus tard