« Ma pauvre muse, hélas ! Qu'as-tu donc ce matin ? Tes yeux creux sont peuplés de visions nocturnes, Et je vois tour à tour réfléchies sur ton teint La folie et l'horreur, froides et taciturnes. »
Ce n’est pas comme si je cherchais un endroit précis. Ce n’est pas comme si j’aimais les emmerdes. Ce n’est pas comme si je m’évertuais à pister autre chose que l’Hippopotame. Alors, pourquoi suis-je ici et non là ? Hum, question sans intérêt, pourquoi me la poserais-je dans un bar aussi pourri ? Pourquoi la porterais-je à vos yeux égarés ? Suave curiosité. Illicite curiosité. Indéniable curiosité. Ennuyeuse curiosité…Vous m’emmerdez, comme les hommes dans ce bar. Vous m’énervez, au point que j’aimerai déchirer vos lèvres avec mes dents. Simple envie. Irrévérencieuse envie.
« Eh donzelle, tu fous quoi ici ?! »
« Je cherche l’Hippopotame. »
« Oh la, y a une illuminée au comptoir les gars ! »
« Je ne suis pas illuminée, je suis hippopotame. »
« Ah ouais t’es bien haut perchée comme nana ! »
« Discuter avec toi est une perte de temps. Même un hippopotame aurait la conversation plus intéressante. »
J’ai ensuite perdu le fil. Je n’ai pas écouté ses idées, si un tel personnage pouvait en avoir. Non. Mes yeux se portèrent à un vieil hublot, aussi gris qu’un regard. Un regard familier. Je lui tournais la tête plus pour éviter son exécrable haleine de matelot que pour totalement l’ignorer. Quoique, la dernière solution semblait si jouissive…Un mince sourire étira mes lèvres gercées que j’ai humecté d’une gorgée de whisky mélangé avec du lait, ce qui était absolument dégueulasse. Seulement, le barman ne souhaitait pas me servir s’il n’y avait pas au moins un fond d’alcool dans mon verre, et je n’avais pas l’une des nombreuses capacités féminines qui était de faire les yeux doux. Non, faire les yeux doux était bien trop ennuyeux, et impossible ; c’est comme demander à un hippopotame de faire du mannequinat, mes yeux ne me le permettait pas. Sujet clos.
Ennuyeuse idée que j’ai eu là. Entrer dans un bar au lieu d’attendre tranquillement de pouvoir monter clandestinement dans un autre navire, de préférence pirate, à croire que je cherchais les emmerdes. Oh oui, je cherche les emmerdes. Ai-je dit plutôt le contraire ? Vous êtes idiots, vous ne savez pas lire, quel ennui. Ennui mortel. Ennui saurien. Un compagnon de l’homme saoul arriva et frappa mon coude pour mieux déverser le liquide sur mon ventre.
« Oh, quand mon pote te parle, tu réponds ! »
« Futilité. »
« Quoi ?! »
« J’ai dit que tu étais futile. »
Tenter d’obtenir une conversation décente avec ces individus semblait bien difficile, mais j’aimais la difficulté, comme j’exécrais attirer l’attention. C’est pourquoi les deux s’allient et s’opposent dans une merveille si onctueuse qu’elle m’en fait jouir. J’ai penché la tête de côté pour éviter un coup de poing, et m’extirpa de ma vieille petite veste noire et usée que tirait le camarade, laissant les deux se fracasser mutuellement la mâchoire d’une manière fort grotesque.
Le silence se fit ; civils inquiets comme marins menaçants. Mais pourquoi un silence pour menacer ? Autant frapper. Quoique, je n’aime pas frapper. Ni même grogner. Je ne suis pas un animal, je suis hippopotame. Mon dos nu laissait voir le tatouage ; petit bout de crâne. Ricanement osseux, crâne qui ricane. Yeux suaves, sourire inquiétant. Beaucoup trouvaient ce tatouage laid et disproportionné, n’allant pas au dos d’une femme. J’emmerdais ces gens là. Non pas que j’aimais ce dessin, mais j’aimais emmerder et la laideur repousse la curiosité. La curiosité d’une marque rouge, au souvenir peu aimé.
Je me suis rassise, sans prêter attention au propriétaire du bar jetant les deux bourrés au loin. Il remit ma veste sur le comptoir, près de moi et le silence ne se brisa pas pour autant. La raison m’était inintéressante, et je préférais le sujet de mes pensées plus que le vide d’une réalité. Mes yeux de saurien fixaient le miroir, attachés sur quelques hommes debout derrière moi. L’archipel regorgeait donc d’idiots. Encore une bêtise. La bêtise est humaine. C’est pourquoi je l’exècre, c’est pourquoi tout ce qui y est lié me débecte. Silence. Finalement, ce dernier est roi, et aussi fou qu’un hippopotame.
« Tu serais pas la garce là…Le crâne qui ricane ? »
Beau silence.
« T’es un peu recherchée je crois. »
Charmant silence.
« Oh je te parle ! Allez, tu vas nous suivre bien gentiment. »
Détestable…silence.
A force de rester dans son âme, on en oublie son corps. Cet homme devait être un chasseur de prime pour arriver si près dans un labs de temps si court. A moins que ce ne soit mon inconscient qui s’amuse à me procurer douleur et saveur. Oui, la saveur d’une souffrance, d’un cri qui devrait s’extirper de mes lèvres lorsque le couteau de cuisine transperça ma main valide pour mieux abimer le bois du comptoir. Le rouge s’écoulait, si beau rouge, de cette plaie. Pourtant, je n’ai pas poussé le moindre hurlement. La souffrance s’embellissait malgré tout, parcourant mes veines, parcourant mon cerveau, malgré tout mon visage resta stoïque et mes iris aux pupilles rectilignes plongèrent dans ceux de mon agresseur. Quel beau regard que voilà, un regard noir, j’aimerai le rendre encore plus profond, putride, peut-être même devrais-je le lui enlever pour mieux le dévorer.
Un sifflement saurien s’extirpa de mes lèvres en sentant une main pataude sur mon épaule. Finalement, la douleur était là et ma main mécanique attrapa mon front. Violence illicite me prenant, oui, me poussant à attraper le petit tournevis caché dans mon soutien-gorge pour le planter dans son épaule. Lui, il hurla. Et moi, je souris. Sourire goguenard, viscéral, presque douloureux…Ca venait. Ca rampait. Ca parcourait mon corps, ça me déchirait sans cesse. Des écailles se propagèrent sur mon visage, devenu trop laid et monstrueux. Le sifflement s’accentua sous un coup de poing me projetant au sol. Un craquement écœurant d’os broyés, un craquement laissant apparaître de petits bouts d’ailes noires de mes omoplates. Un râle sortit de ma gueule, une haleine de cadavre ; le signal, non, plus l’alarme de la survie humaine. Je m’étais relevée, mes os craquant, mes écailles se propageant dans cette foule hystérique s’extirpant du bâtiment pour fuir ce qui s’apparentait à un mauvais songe. Qui pouvais-je si cette transformation n’était ni fluide ni ragoûtante ?
« Putain, t’es écœurante… »
Mes yeux attaquèrent l’individu qui avait démit cette parole, un pirate certainement, brandissant une longue lame vers moi. Je me tenais la main, poussant un râle immonde à son encontre, un grondement, une menace, une violence qui me noyait et m’étranglait, dont je n’arrivais pas à me défaire. Rouge, rouge, indéniable rouge…Tout en tentant de contrôler ma forme hybride, tout en tournant le dos à l’entrée du bar, j’évitais au mieux les coups, je m’amusais dans le rire d’un reptile fourbe à mordre les armes pour mieux les briser. Il s’agissait d’un chaos noirâtre, l’oubli de la discrétion et l’intérêt de la souffrance. Désormais je reculais, à moitié transformée, mes pieds devenus pattes laissant cliqueter mes griffes sur le parquet, m’éloignant vers la sortie sans réussir à l’atteindre. En me retournant, je n’aperçus qu’un habit de marine. Ennui. Délicat…ennui.
La mêlée continua, la transformation s’amplifia. Colérique colère sans but ni idée. Innommable monstre dépourvu du don d’être aimé. C’était un ensemble de griffes, de crocs, de chair arrachée. Ma patte blessée griffait avec acharnement, un sifflement rageur sortant de ma gueule ensanglantée. Je sentais les lames frôler mes côtes, leur luisant se couvrant de mon sang noir et puant. Mes dents plongeaient dans le tas et finalement ma queue fouetta à nouveau, sans cesse. Le bar n’était plus un bar, il était une bataille couverte d’un rouge. Si beau rouge que tu arbores…
Je tenais de ma main en métal le dernier pirate, celui qui avait osé me blesser. Le reste se voyait dévorer par le liquide putréfié, dans une fumée noirâtre. Qu’y pouvais-je si même le reptile souhaitait anéantir chaque centimètre de chair pour seulement lui avoir causer douleur ? Qu’y pouvais-je si chacun fuyait ma laideur ? Le bras en fer commença à broyer ce cou, tandis que les griffes transpercèrent lentement le ventre de l’individu, dans son cri d’agonie. J’ai arraché le cœur, laissant tomber cette marionnette au sol. Le silence régnait encore. Oui. Toujours et encore, sans jamais cesser de torturer mon être, de se laisser embrasser par mon souffle et mon haleine. J’observais ce cœur encore chaud, organe si fébrile et laid…Et moi, avais-je un tel cœur ? Palpitant vite et fort, suintant du rouge adulé ? Qu’avais-je donc qui n’allait pas sous ces écailles abyssales ? Tout. Tout, excepté le vœu d’obtenir l’Hippopotame, le divin Hippopotame. Finalement, il s’arrêta, comme ce râle brisant l’infini silence. Je l’ai mollement laissé tomber sur le parquet vieilli, suintant du rouge, agrippant égoïstement le pourpre coulant de mes écailles.
Ma patte griffue se posa sur mon front de bête, un infime sifflement s’extirpant de mes mâchoires humides. Mes babines se retroussaient pour laisser découvrir mes dents, dans le gémissement d’un saurien titubant, immobile, courbé. Je m’étais laissée dominée, pour finalement regretter l’idée d’avoir tué. Voilà où me menait donc ma mégalomanie ; à l’abattoir. Le rouge agressait mon esprit, le rouge de ses cheveux, cette indéniable connotation rubis. J’entendais ce nom exécré tonner dans ma tête, la transperçant de part en part. J’avais envie d’oublier, et en même temps, je souhaitais tant me rappeler de ses lèvres, de ses joues, de ses cheveux, de son rouge adulé, ô le rouge tant aimé…Jeanne, crédule Jeanne…Comment ai-je pu te commander de te tuer, cette nuit-là ? Un long gémissement sortit de ma gorge, mes ailes se recroquevillant sur moi-même, tout comme mes griffes enserraient mon crâne, le blessant à son tour, et je fermais lentement mes paupières. Le souvenir, je voulais tant le garder, tant l’oublier. Le souvenir, l’idée même de la savoir présente en mon âme, l’idée même de vouloir l’effacer d’un revers de main. Le souvenir semblait si factice et si réel à la fois. J’aurais tant voulu pleurer, et pourtant, j’ai beau essayé…Aucune larme n’est sortie depuis ce jour.
La présence d’un être. Tous mes muscles se contractèrent dans un même ensemble, dans un mouvement de tête vers l’entrée du bar ruiné. J’ouvris mes yeux aux pupilles longilignes pour mieux les poser sur le nouveau venu. Rouge. Il portait du rouge. Rouge exécrable. Rouge adulé. Rouge au souvenir incommensurable. Rouge tant dévoué. Mes babines se retroussèrent, ma gueule s’ouvrit, ma queue fouettant l’air d’un air aigri. Je grondais pour mieux menacer. Mais y avait-il seulement menace capable de faire défaillir le rouge ? Il s’agissait d’un marine nul doute à cela, celui entraperçu plus tôt. La cohue l’avait certainement ramené, et je devais à tout prix fuir désormais. Après tout, qui dit un marine, dit une flopée. Je n’avais pas l’intention de me laisser enfermer, plus jamais, quitte à en perdre un autre bras.
Un rugissement sauvage sortit de mon gosier et mes ailes s’agrandirent pour mieux me donner de l’envergure. L’instinct du reptile semblait à son comble, et ses yeux affamés dans les yeux de cet être..Rouge. Il se parait du rouge de tes cheveux, Jeanne, du rouge que j’ai tant de fois effleurer de mes doigts abîmés. Lui aussi afficherait ce regard écœuré, celui qui veut satisfaire sa curiosité. Mais il se paraît du rouge, du pourpre ensanglanté. J’avais envie de le tuer, j’avais envie de l’étriper, j’avais envie de répandre ce rouge sur cette œuvre inachevée, mais je devais fuir. Mes pattes arrières me poussèrent vers l’avant, enfonçant profondément la latte du parquet. Je me suis précipitée sur lui, d’un pas décidé, mon sang mélangé au leur laissant un sillage noir, le sillage noir de ta chute. J’ai brandis ma patte, toutes griffes dehors, l’œil sauvage et attisé par le rubis de ses cheveux. Pourquoi ne fuyait-il pas ? Allez, fuis, ou tente donc de planter une lame dans mon ventre…Je veux trouver l’hippopotame.
Stinson H. Jeanne
TERREUR CAP'TAIN
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Emploi/loisirs : ...Voyager sur le dos d'un ours pétant des arc-en-ciel.
Humeur : A te dessiner un hippopotame sur la tronche pendant que tu pionces.
Une sensation de lassitude parcourut le long de son échine. Il serait bien parti en mission, mais le jeune sergent-chef n’était pas de service aujourd’hui. Faire attention à lui et prendre du repos. Un ordre provenant de son supérieur hiérarchique. Il se surmenait trop. Ne dormait que très peu. Le travail rythmait sa vie. Enfin, rien de plus normal. À présent, depuis la mort d’Olympe, sa bien-aimé, il ne lui restait plus que le travail. Le problème étant qu’il s’y noyait, se fichant éperdument de sa santé, il s’acharnait encore et toujours dans les travaux qu’ont lui confier. Vous l’aurez donc compris, cette décision de repos forcé ne l’enchanta guère. D’ailleurs, sur son visage s‘était dessiné une moue morose, tandis qu’il marchait doucement dans les hautes herbes. Il regardait le soleil qui se couchait au loin, laissant une traînée rouge derrière, repensant à des souvenirs. Dans son enfance, il avait pour habitude de contempler les couchers de soleil avec ses deux sœurs. Un spectacle qu’il appréciait à sa juste valeur. Amon avait le sentiment qu’elle l’attendait quelque part et que quand viendrait l’heure de partir, elle irait le chercher. Un doux rêve auquel il s’attachait fermement.
Le jeune homme eut un sourire mélancolique, et chassa une mèche rougeâtre qui tombait sur son visage pâle. L’heure n’était pas à se morfondre. Ça ne faisait pas partie de la philosophie du roi rouge. Il avait déjà versé trop de larmes. La vie continuait. Vivre avec un éternel tourment. Remplir le solstice de sa vengeance par le sang de l’homme qui avait anéanti son cœur. Tel était son fardeau. Pouvait-il arrêter ce désir vengeur ? Assurément pas. C’est le genre d’homme à aller toujours au bout de ce qu’il entreprend. Il ne connaît pas l’abandon, et ne quittera pas ce monde avant d’avoir accompli son objectif.
Arrivé au bout de la mangrove, il posa son regard sur les basses branches qui laissaient entrevoir une petite ville. Un hameau qui servait d'halte aux pirates en quête du nouveau du monde. Les rues étaient bondées. Des gamins jouaient à la balle avec un chien. Des équipages pirates se baladaient librement. L'endroit était pas mal fréquenté. Mais cela ne gênait pas outre mesure le roi rouge qui commençait à descendre la pente menant à la ville. Autant dire qu'il ne passait pas inaperçu. Ses mains s'étaient jointes aux poches de son pantalon et il s'avançait tête haute, dans les ruelles de la ville. Amon dégageait une certaine prestance. Il n'avait nullement besoin de faire de détours. Les personnes s'écartaient à son passage pour le laisser passer. Il n'en demandait pas tant, mais que voulez-vous ? Le roi rouge instaurait un malaise. Une atmosphère étouffante. Et c'était sans aucun doute la raison pour laquelle il était seul. « Fuyez ! Un monstre a pris d'assaut le bar. C'est une boucherie ! » Un attroupement de pirates passa à quelques centimètres d'Amon. Leurs visages manifestaient un sentiment de peur. Ils semblaient terrorisés. Et la ville qui était prospère jusqu'à maintenant tomba sous le joug de la panique.
Une nouvelle fois, le jeune homme fut témoin de la nature humaine. Les plus forts poussaient les plus faibles pour s’enfuir. Les pauvres enfants qui se trouvaient sur leur chemin se faisaient piétinés, tandis que certains profiter de tout ce remue-ménage pour voler de la nourriture. Un beau tableau qui peignait la réalité de ce monde. Immobile, il observait. Pourquoi ne bougeais-t-il pas ? Simplement parce qu’il préférait être le peintre de ce tableau. « ... » Ne prêtant pas attention à la foule effrayée, il se remit à marcher. Ces pirates avaient réussi à éveiller sa curiosité. Un monstre ? Après tout, ça ne coûtait rien d’aller y jeter un petit coup d’œil. Ainsi, il arriva devant le porche d’entrée du bar, ou plutôt ce qu’il en restait. Le bois de la bâtisse partait littéralement en lambeaux. On aurait dit qu’un ouragan avait frappé de plein fouet cette brasserie. Encore une bagarre entre pirates ? Non, les dégâts étaient bien trop importants. C’était autre chose.
Un rugissement bestial siffla dans ses tympans. Le plancher craqua et une silhouette massive se propulsa sur lui. Une odeur putride l’accompagnait. Une effluve de sang. « Tu te trompes de cible. Je ne suis pas une proie. » Un épais voile rougeâtre explosa de son corps et enveloppa le roi rouge. Une aura d’un rouge immaculé perlait sa peau. La température grimpa. Il donnait l’impression d’être entouré d’un halo enflammé édifiait à l’image de sa ardeur. La patte de la bête s’abattit sur lui. D’un mouvement rapide, il l’attrapa avec sa main qui été border de vapeur. Cependant, les griffes aiguisées du monstre réussirent à s‘enfoncer dans la chair de sa main, laissant coulait un léger fluide rougeâtre.« Range tes griffes. Je ne te veux pas de mal. » Doucement, il relâcha la patte de l’animal et planta son regard dans le sien. Des yeux avides de sang. Un océan pourpre. Aucun doute. Un prédateur. Tout comme Amon. « J’aime ton regard. Il est … » La langue du roi rouge sortit de ses gonds pour venir humecter ses lèvres. « … indomptable. »
« Ma pauvre muse, hélas ! Qu'as-tu donc ce matin ? Tes yeux creux sont peuplés de visions nocturnes, Et je vois tour à tour réfléchies sur ton teint La folie et l'horreur, froides et taciturnes. »
Était-il possible de ne pas ressentir la peur ou l’angoisse ? Je l’avoue, moi-même je la ressentais, elle ne me quittait jamais, me rappelant sa présence à chaque instant, ne se faisant que plus viscérale. Depuis l’instant où tu es tombée de la falaise, tendre Jeanne, cette sensation s’est inscrite au fer rouge dans chaque parcelle de mon épiderme, n’étant que plus vive chaque jour, ne s’éteignant pas même dans mon sommeil. Elle s’alliait si bien au remord, si bien à la violence du saurien…Au point de défier ton rouge, belle Jeanne, au point que même en me remémorant la douceur de tes cheveux et leur étreinte, je ne pouvais lutter. Le seul combat que je n’ai pu me résoudre à finir était celui du sang de l’innocence, du rouge à l’illustre saveur. Un rouge que cet homme arborait, tel un peintre armé d’un pinceau de sang.
Qu’il arriva à bloquer mon attaque me surprit, comme cette absence d’effroi à l’égard de cette laideur et de cette puanteur reptiliennes, à croire qu’il était possible de ressembler à un Hippopotame…Le saurien semblait tout aussi surpris que moi, plongeant son regard dans les profondeurs de celui de l’individu. Il était rouge, il s’habillait d’un manteau rubis, aux effluves pourpres. Mes yeux écarquillés ne pouvaient se détacher de cette aura, de ce marine si toxique, oui, toxique pour la raison d’une âme assoupie. Le souffle calme, mon sang s’écoulait sur le sol, formant une flaque autour de mes pattes griffues. Mes bras restaient immobiles et malgré tout en alerte, tout comme mon regard ne cillait pas. Rouge, rouge, étrange rouge que celui du marine, aura purpurine et suavement sucrée…
Je tentais de remettre de l’ordre dans mes pensées, mais la douleur était si vive sous la forme du basilic, aussi vive qu’un hippopotame. S’il ne me voulait pas de mal, que faisait-il ici ? Il s’agissait d’un marine, et mon peu d’expérience m’avait appris à toujours les éviter…Pourtant, il y avait le carmin, il y avait ce velours sensuel, cet infini dessin qui l’enveloppait, une danse vermeille qui me poussait à fermer les paupières et à me rappeler, ô, m’évertuer de ce sourire si aimé ! Toutefois, le serpent bien que calmé par cet imperturbable être, n’avait qu’une envie ; boire ce bordeaux. Le boire et s’en délecter, c’est pourquoi sous nos émotions jointes et malgré tout contradictoires, j’ai levé ma patte ensanglantée, pour tenter d’empoigner cette aura rouge, ce souvenir épars, ce rire qui semblait réel dans cette brume. Je voyais Jeanne, je la voyais comme je vous vois…Et le mirage se dissipa, ne me laissant que le regret du vide.
Mes yeux hypnotisés revinrent à mon interlocuteur, en entendant ses dernières paroles. Indomptable, hein ? Qu’était-ce que l’indomptable pour cet homme ? La folie, l’horreur et la faim mêlées, donnant un ensemble chaotique et violent ne souhaitant que détruire et se contorsionner dans sa douleur ? Quand je m’observais dans une hasardeuse glace, sous cette forme hybride, je me répugnais, pour ne savoir dompter ce fruit, je me répudiais, pour avoir attraper de ces griffes tant de vies. Le saurien étira ses babines dans un horrible et ironique sourire, en guise de réponse à ses paroles. Je me suis approchée, plus près, le fixant de haut pour finalement renâcler ; mes naseaux couverts de sang éclaboussèrent son visage de ce dernier. Je me rendais bien compte qu’il n’était pas une proie, il avait réussi à contrer mon attaque, il avait le rouge sur son pinceau et son regard ne semblait nullement empli d’effroi…Que devais-je en penser ? Ma langue de reptile sortit de ma gueule, profondément fourchue, elle laissa une longue traînée de salive sur le visage de l’individu, pour mieux revenir à sa place ; toujours aucune réaction. Je sentais le saurien perdre patience, grondant pour mieux ouvrir sa gueule et rugir à plein poumons, éloignant encore plus les possibles autochtones. Il ne réagissait pas, il restait là, droit, imperturbable. Aussi imperturbable qu’un hippopotame.
J’ai lancé un dernier regard derrière lui, humant l’air de ma langue pour finalement réussir à calmer ma fureur de lézard, le silence m’aidant quelque peu. Je repris peu à peu forme humaine, mes iris marécageuses plongées dans les siennes si rouges…Même en reprenant mon regard d’humaine, cet homme restait rouge, son aura carmin, sa chaleur pourpre, comme s’il était une entité faite de cette couleur adulée. Pourtant, je tentais de rester suspicieuse et méfiante, bien que curieuse face à temps de contradiction. Pourquoi un marine ne me ferait-il pas de mal ? Il servait le Gouvernement, donc les Tenryuubitos et tout ce qui s’y liait, n’est-ce pas ? Je n’en étais plus sûre, mais je ne laissais rien paraître de mon doute.
« N’est indomptable que l’Hippopotame. »
Parlons hippopotame, parlons burlesque. Je lui ai tourné autour, tel un animal intrigué par une chose peu connue, mes yeux de reptile retenant le moindre détail. Je n'allais guère vite, mes blessures ne s'étant pas estompées en reprenant une forme physique normale, et je boitillais quelque peu. Je finis par revenir à ma place, me rendant compte qu’il était inutile que je tentasse quoique ce soit contre lui. Étrange…Oui étrange idée que l’inutilité. Qu’est-ce qui semblait inutile aux yeux des hommes, aux yeux de l’Hippopotame ? Me rapprochais-je de sa piste ? Finalement, je finis par demander avec rapidité, sans m’arrêter, le ton toujours platonique :
« Qui es-tu ? Que veux-tu ? Qu’es-tu ? Tu es bizarre. Oui, très bizarre. Que fais-tu ici ? Que recherches-tu ? Pourquoi ne m’attaques-tu pas ? Pourquoi te pares-tu de rouge ? Le rouge ne te va pas. Non, il ne te va pas du tout. Tu devrais le brûler, le pourpre n’est pas ta couleur. Je n’aime pas cette couleur. Tu m’es agaçant, oui, très agaçant, et tu ne m’intéresses pas. Quel ennui…Incroyable ennui. Je préfèrerai parler avec l'Hippopotame. »
Dire le contraire de ce que je pense, pour mieux estomper quelques traces, quelques faiblesses trop présentes. Le rouge, le divin rouge l’englobait, et mes yeux ne quittaient pas les siens, par peur de se laisser noyer par le rouge. Je désirais cette couleur, je la voulais égoïstement, je souhaitais la prendre dans mes bras et ne la laisser à personne. Cet homme se parait du rubis de mes désirs et de mes peurs, de ma folie et de ma douleur. Jeanne était dans cet écarlate, quelque part, non loin, tout près de l’Hippopotame…Ce marine m’était bien trop intéressant. Pour terminer mes dires, j’ai imité son dernier geste, humectant mes lèvres d’un mouvement de la langue, agile et presque sensuel, pour mieux laisser un mince et bref sourire les étirer. Il disparut aussitôt, pour une moue plus prononcée, d’un ennui bien fin.
Stinson H. Jeanne
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Emploi/loisirs : ...Voyager sur le dos d'un ours pétant des arc-en-ciel.
Humeur : A te dessiner un hippopotame sur la tronche pendant que tu pionces.
Le regard du roi rouge ne se détacha pas un seul instant de la silhouette massive et carnassière qui se présentait face à lui. Des écailles inégales tapissaient du sang de ses victimes. Des ailes rappelant les créatures mythiques contaient dans les légendes. Une carrure et une force impressionnante. C’était une bête. Et il est vrai qu’étant un marine, Amon aurait dû la capturer ou la tuer pour éviter toutes représailles, mais il ne le fera définitivement pas. Pourquoi ? Il était curieux. Il voulait comprendre le sentiment qui l’envahissait en regardant ce monstre. Impossible de décrire ce que le roi rouge ressentait, hormis que son instinct de prédateur était en émoi. Juste un simple regard suffisait pour lui faire comprendre qu’ils étaient similaires. Deux bêtes assoiffées; l‘une par le sang et l‘autre par la vengeance. Deux indomptables prédateurs. Fruit du hasard ou destin ? Il ne faisait aucun doute que leur rencontre avait été prémédité. Et deux prédateurs n’ont pas à se battre à mort. Ils doivent coopérer dans un but commun. De ce fait, il ne lui fera aucun mal. C’était bien la première fois de son existence que le roi rouge faisait preuve de clémence. Amon avait pour habitude de massacrer, tuer et puis de poser les questions. Et pourtant là, il semblait calme, presque aussi doux qu’un agneau.
Le maigre espace qui séparait les deux protagonistes fut brisé par la bête qui se rapprocha du roi rouge. Une douce empreinte de sang jaillit sur son visage, barrant ce dernier d’une trace sanguinolente. Elle était en train de sculpter la moindre parcelle de son corps. Une forme de préliminaire animale. Voulait-elle savoir si les paroles d’Amon étaient juste ? S’il n’attendait pas juste une ouverture pour s’attaquer à elle. Le jeune homme était en mesure de comprendre cette méfiance. Ne la quittant toujours pas du regard, il ne lui opposa aucune résistance. Ainsi, la langue humide et irritante de la bête s’échoua sur l’impassible visage du sergent-chef. Un échange qui le laissa indifférent. Il garda parfaitement son calme. Encore une première pour le roi rouge qui avait tendance à démarrer au quart de tour. Et enfin, sous son regard impartial, elle commença à reprendre forme humaine. Il s’y attendait. Tout comme l’identité de la personne qu’il reconnut aussitôt. Son apparence physique changea radicalement, mais son regard resta le même, au plus grand plaisir d’Amon qui se délectait de la scène. Cette femme était connue des services de la marine. On n’oubliait pas le nom d’une personne ayant déjà pris la vie d’un Tenryuubito. Un acte courageux ou suicidaire ? Peu importe.
Baissant le regard, il plongea l’une de ses mains dans la poche de son pantalon pour y déloger un paquet de cigarettes. Il en attrapa une avec ses dents, la logea au coin de ses lèvres et remit le paquet en place. « … » En concentrant une infime quantité de vapeur dans sa main droite, il l’alluma d’un claquement de doigts et tira une première bouffée. La fumée emplit ses poumons. Ça faisait du bien. « Amon Cinderreich. » Il recracha en soufflant un épais filet d’air. « C’est tout ce que tu dois savoir. » Tel était le caractère froid et renfermé qui caractérisait bien le roi rouge. Il ne poursuivit pas ses paroles et préféra tirer les dernières taffes sur sa clope. Une fois celle-ci fini, il la jeta sur le sol et l’écrasa avec son pied. Le précédent carnage n‘avait pas épargner la jeune femme. Amon le remarqua très bien. Ainsi, il enleva sa lourde veste de marine et la jeta sur elle. « Mets ça. » La nudité de cette femme aurait pu faire flancher n’importe quel homme. Mais le sergent-chef figurait dans l’exception qui confirmait la règle. Un soupçon de désir sexuel ? Pas la moindre once. Il ne la regardait pas comme une femme ou une bête d’étalage. Non. Son intérêt envers elle était tout autre. « La nuit tombe. » Il toussa pour aérer ses poumons noircis par les nombreuses cigarettes qu’il fumait à longueur de journée. « Je n’ai pas l’intention de m’éterniser ici. » Avoua-t-il d’une voix grâce. « Tu vas me suivre. » Aucun choix à faire. Ce n‘était pas une question. C‘était un ordre. Il ne la laisserait pas partir, ou du moins, pas avant d’avoir compris ce sentiment qui le taraudait depuis le début de leur rencontre.
« Ma pauvre muse, hélas ! Qu'as-tu donc ce matin ? Tes yeux creux sont peuplés de visions nocturnes, Et je vois tour à tour réfléchies sur ton teint La folie et l'horreur, froides et taciturnes. »
Amon…Amon Cinderreich. Hum, je n’aimais pas ce nom, ou bien je l’appréciais. Non, je le détestais, peut-être même me débectait-il ? En fait, je le trouvais suave, ou peut-être pas. Qui sait, était-ce un mélange de deux opinions contradictoires ? Un peu comme le rouge d’ailleurs, le jugement sur cette couleur pouvant même fausser celui sur l’individu. L’écarlate, je le détestais et m’en fascinais en même temps, un peu comme lui, comme ce petit marine, ce grand marine, cette vapeur rubis, cette surprise rougeâtre, Amon. J’ai penché la tête de côté, l’observant sans ciller allumer sa cigarette d’une façon quelque peu inédite. Il devait avoir manger un fruit du démon, si j’écoutais ma rationalité, mais étant donné que l’écouter n’était pas ma tasse de thé…Nous allons dire que ce Amon était un nouvel animal, une espèce dont l'effectif ne se comptait qu’à un seul membre ; il était unique en son genre. J’aimais les choses uniques, elles me fascinaient, elles hypnotisaient toute mon attention, au point même que j’en oubliais la méfiance.
« C’est tout ce que je dois savoir ? Dans ce cas, c’est très peu de choses. Je devrais donc oublier mon nom, mon âge, et toute autre information, ne me focalisant que sur ton identité ? Je deviendrais aussi idiote qu’un marine alors, un simple cabot te suivant. Je ne t’aime pas Amon, tu n’es pas assez pour moi, ou peut-être es-tu trop ? Incrédule question, oui, illicite question. »
Un mince sourire étira mes lèvres, et j’ai tendu le manteau de marine pour l’appuyer contre son torse. Je souhaitais tester ses limites, d’une certaine manière, mais aussi tenter de me prouver une chose ; je n’étais pas esclave du rouge, n’est-ce pas ? J’étais un hippopotame, et les hippopotames ne s’habillent pas, cependant comme il ne faut pas attirer l’attention, mieux vaut porter des vêtements, revêtir une apparence humaine, quitte à ressembler à un monstre…
Mon regard réussit à se détacher du sien pour se poser vers le dehors ; le soleil se couchait, laissant quelques nuances orangées couler sur les pavés, le silence régnait et le zéphyr caressait les portes grinçantes de la brasserie déchue. Donc oui, il allait faire nuit. Néanmoins, qu’il posa telle quelle l’affirmation "de le suivre", ne me plus guère. Etais-je un chien, un simple canidé trottinant derrière son maître, dévoué et idiot ? J’ai reposé mes iris dans les siennes, fixant ce rouge, fixant ma pensée sur mes paroles. Je disais le contraire de ce que je pensais, tout en le mélangeant à la réalité, car son rouge m’attirait, beaucoup trop à mon goût. Il faut s’échapper, se délivrer, éviter un total empoisonnement et la chute vers les immondes abysses, quoique…peut-être avais-je déjà touché le fond ?
Je lui ai tourné le dos pour me diriger vers la masse informe de sang et de chair mêlés, afin d’y chercher simplement mes vêtements. Je sortis mon short et mes sous-vêtements pour mieux les secouer avant de les enfiler, remettant le tournevis laissé dans un muscle peu frais dans mon soutien-gorge. Ma veste sur mon bras, mes mains dans les poches, je revins vers lui, silencieuse, sans le quitter du regard. Rouge, rouge, complètement rouge, beaucoup trop rouge à mon goût, si rouge que j’en oubliais ma main trouée.
« Je devrais te suivre ? Pourquoi ? Vas-tu m’emmener en prison ? Penses-tu croire que je vais te suivre sans broncher ? Je ne sais rien de toi, absolument rien. Peut-être même que je m’en fous…C’est pourquoi je te suis. Mais je te préviens ; je ne préviens jamais. »
Mon sourire apparut de nouveau, et malgré mes dires, malgré ma curiosité et mon semblant d’âme me hurlant de ne pas faire cela, j’ai attrapé son visage entre mes mains. Il était certain que mon obligation était de disparaître, aussi bien de ce lieu que de la mémoire d’Amon, malgré l’écarlate. C’est pourquoi je devais tenter de comprendre son mystère comme d’enlever toute trace de mon passage de son esprit.
« Ojos del Caos. »
Mes pupilles se rétractèrent, longilignes presque au point de disparaître, et j’ai tenté de m’immiscer dans son âme, quitte à abimer la mienne. Le carmin semblait si présent que j’en avais du mal, tant de mal à agir…Je souhaitais, par devoir, m’effacer de ses pensées, et malgré tout j’éprouvais l’étrange envie de le suivre pour comprendre, oui, comprendre ce regard et cette fascination à son égard. Et son rouge, oui, le rouge, délicat rouge, suave rouge, invincible rouge ; je tentais de m’en défaire, je tentais de le défaire dans le bordeaux de nos pensées mêlées.
Stinson H. Jeanne
TERREUR CAP'TAIN
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